Bestiaire

(Cliquez sur une des photos en médaillon pour l'agrandir)

Nous sommes la première nation spéléo du monde. La révolution des techniques légères - dites alpines - au tournant des années soixante-dix a décuplé les possibilités d’explorations en pulvérisant les records de profondeur, dans les Alpes et les Pyrénées. On nous demande souvent : « Est-ce que vous faites des découvertes sous terre ? »
Étrange question, puisqu’on ne fait que ça : c’est le but de toute expédition. Les découvertes de type préhistorique sont confiées aux personnes compétentes. Pour ma part je n’ai aucune motivation archéologique, ni scientifique, géologique ou minérale et il convient de distinguer la "spéléo d’explo", de la spéléo en général. On ne va pas au trou pour se balader ou faire du sport le dimanche. Nous découvrons des nouvelles cavernes, nous sommes des inventeurs. Cela exige un degré d’engagement supérieur.

Les glaces fondent, le réchauffement climatique gagne, c’est du pain béni pour le spéléologue. Toutes les zones de montagne au dessus de 2 000 mètres sont à revoir. Là où jadis la glace s’accumulait en névés épais, il ne reste que des gouffres béants.

Nous vivons l’âge d’or de la spéléologie. On retrouve les spéléologues sur tous les continents, sous toutes les latitudes, ils sont capables d’affronter les pires océans, la jungle, l’altitude et les glaciers pour combler leur passion. Bientôt ils iront sous Mars !

Très tôt dans mon Berry natal, j’expérimentais la première échelle de corde de ma fabrication en descendant un puits naturel dans les carrières de Bois-Ramier. Mais la vraie spéléo est au sud, au delà de la Garonne. Motivé par les Pyrénées je m’installe à Toulouse en 1981, je découvre les Occitans. Mes plus belles premières sont celles que j’ai effectué à la Pierre Saint-Martin dans le 64 : le BT6 (moins 1 140 mètres) en 1986, Le Chipi Joseteko Lezehandia (moins 555 mètres) en 1994 et quelques kilomètres de rivière dans Larrandaburu. Après plus de vingt ans passés à Toulouse, je découvre enfin la Coum di Ouarnède, le plus grand réseau de France, dans mon département, à moins de 100 kilomètres de chez moi ! Un retard scandaleux qui me valut des reproches.

Nombreux sont ceux qui rapprochent l’expérience spéléologique à celle de la naissance, la venue au monde… Oui, mais dans quel sens ? Quand on entre, ou quand on sort de la caverne ? La question reste posée. Mais la venue au monde serait de toute évidence dans le sens de sortie. La caverne serait alors un substitut du milieu utérin, avec une obscurité identique, bien que le fœtus "ne voit pas" au sens stricte. Il mène une vie totalement vouée au narcissisme, replié sur lui même, au chaud et en apesanteur. Là aussi la comparaison est évidente, l’expérience du spéléologue est aussi totalement vouée au narcissisme, complètement replié sur lui-même dans son trou, sans lien avec l’extérieur. La similitude s’arrête là. En ce qui concerne la température et l’apesanteur, le contraste est frappant : on grelotte dans le trou et gare à celui qui rate la corde (le cordon ombilical ?) et chute dans le vide. Ces paramètres physiques nous feraient douter que la caverne soit un bon substitut, mais ne perdons pas de vue l’aspect fondamental : la force psychique qui chaque fois nous conduira plus loin dans les entrailles de la terre.

Extrait : « … la cabane qui nous abrite est basse afin de conserver la chaleur. Sur la paroi, la flamme claire de nos lampes jette des ombres de géants. Au-delà s’étend une contrée désertique inhospitalière, froide et silencieuse. L’haleine exhalante de buée, nous découvrons un monde noir immobile, saupoudré de blanc. Dans le halo de nos lumières crépusculaires défilent de longs corps de roche agonisants rongés d’humidité, tels les nuages de la nuit éternelle, brouillant à jamais la lune et le ciel étoilé. Nous progressons furtivement, par groupe de deux. En connivence parfaite avec les signes de la nature, sensibles aux moindres dépôts de l’eau et à l’affût du plus petit courant d’air. Jamais trop éloignés l’un de l’autre, toujours à portée de voix, nous voyant à peine de loin en loin ou lors de courtes pauses afin d’établir le cap. La pire crainte étant de se perdre dans les ténèbres vides de toute humanité… »

Ours brun, la chauve-souris et le spéléologue ont un point commun : ils fréquentent la même caverne. De ce point de vue ils appartiennent au même bestiaire. Le bestiaire explore des champs artistiques hétéroclites dont le seul lien commun est la caverne.

Il existe aussi un lointain rapport avec les esquimaux, surtout quand Pythéas nous décrit la contrée explorée comme une méduse ou un « poumon marin ». Ça ressemble fort au Trou Souffleur de Larrandaburu que j’explore depuis 1998.

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